Une relation verticale
Pour qui débute en arts martiaux, la notion sempai-kohai est difficile à saisir. Ce qui est naturel (ou du moins l’était grandement) au Japon, est moins bien compris en occident où la démocratie rend tout mode de communication horizontal (tous sur un même pied d’égalité).
Au titre d’introduction, voici un texte court et intéressant de Midori Yamamoto : East Meets West: « The Sempai-Kohai seniority system ».
.Pas une démocratie
Tout d’abord, le dojo n’est pas une démocratie. Le dojo traditionnel est un environnement aux relations verticales et hiérarchisées : du Sensei vers les deshi (élèves), et des sempai (plus avancés) vers les kohai (moins avancés).
L’élève vient pour apprendre, c’est de ce fait lui qui se place dans une relation d’infériorité : il demande à acquérir le savoir du Sensei. De même il est – dans ce cadre – moins avancé que les anciens élèves (ses sempai).
Dans un dojo, le Sensei ne peut pas s’occuper individuellement des élèves à plein temps (limite de temps). Les sempai servent de relais en aidant leurs kohai à suivre les règles du dojo, à comprendre l’enseignement et à progresser.
Il s’agit d’une relation verticale, le kohai est là pour écouter et suivre les directives. Il est là pour apprendre et en tant qu’apprenti ne peut remettre en cause l’enseignement qu’il reçoit. Il arrive que l’on apprécie pas nos sempai ou leurs directives, néanmoins le relation reste verticale et le respect au sempai dû sous peine de ne plus recevoir l’enseignement cherché. Le respect (strict) de cette relation est primordial car au coeur du mode de transmission des arts martiaux.
Il est vrai que la convivialité, l’amitié, qui lient les personnes (notamment lors de fêtes), tendent à niveler cette relation, à la rendre horizontale… Mais c’est là un écueil grave qui doit rester à l’esprit du sempai et du kohai.
Ne pas corriger son sempai !
Il est par exemple impensable qu’un kohai corrige un sempai en lui indiquant un défaut, une erreur. Pourquoi ? Le texte suivant exprime tout à fait le problème : « Stumbling on the Path – Reigi Saho ».
By correcting a sempai the kohai is making two statements: one that the instructor has not done his or her job in teaching the senior correctly; two, that the kohai considers himself more knowledgeable than the sempai and three, that the kohai does not need to practice, and therefore has time to correct others. Again, whenever correcting, we are transmitting, and we cannot both transmit and receive.
Texte qui peut se traduire ainsi :
En corrigeant un sempai, le kohai fait deux assertions : premièrement que l’instructeur n’a pas fait son travail en enseignant pas correctement au sempai; deuxièmement, que le kohai pense en savoir plus que le sempai et troisièmement, que le kohai n’a pas besoin de pratiquer puisqu’il a le temps de corriger les autres. Lorsque l’on corrige, on transmet, et on ne peut pas en même temps transmettre et recevoir.
Le Salut
Autre point mal compris, voire mal vécu : le salut pour le travail avec un partenaire. En début de cours, le Sensei rappelle souvent que les kohai doivent se précipiter pour saluer un sempai et ainsi travailler avec lui :
During regular practice sessions it is, of course, expected that kohai will step out of line first, seek out a sempai and bow to them before they have a chance to move. The extra effort it takes to move to where your sempai is seated shows your eagerness to learn from them.
Traduction approximative :
Pendant l’entraînement, il est attendu que le kohai sorte de la ligne en premier pour chercher un sempai et le saluer avant qu’ils (les sempai) aient une chance de bouger. L’effort supplémentaire que cela nécessite pour se déplacer jusqu’au Sempai prouve l’envie d’apprendre de lui.
Le texte parle aussi d’autres notions que je laisserais le lecteur aborder.
Il est rare que je cite Maitre Tamura et pourtant voici un texte qui indique bien quelle doit être l’étiquette régissant cette relation sempai-kohai :
Si l’esprit de gratitude [d’un sempai] envers un kohai s’exprime par cette seule pensée « Merci, de m’avoir permis de bien travailler aujourd’hui », le kohai sera heureux [;] de même si [le kōhai] remercie le sempai de son enseignement, [celui-ci] sera content. […] Il est grotesque d’avoir à dire « Respectez-moi car je suis votre sempai » […]. Le respect envers le sempai ne doit pas être provoqué, le kohai doit tout naturellement avoir envie de respecter le sempai. Le sempai, lui, prend soin du kohai car le kohai occupe la place qui est la sienne et mérite par là que l’on s’occupe de lui.
Ainsi le kohai doit respecter son sempai naturellement, sans autre justification que le fait que le sempai en sait plus que le kohai dans le domaine qu’il vient apprendre et que le Sempai est un maillon de cette transmission.
Un sempai dans les arts martiaux n’est pas forcément le plus gradé; littéralement il s’agit de toute personne ayant débuté avant le kohai, il s’agit de l’ancienneté dans l’apprentissage. Il peut arriver que certains progressent plus vite que d’autres, notamment dans l’obtention de grades, mais le rôle du sempai étant plus large (transmettre, corriger, aider, à la fois au niveau technique mais aussi sur les règles de comportement : l’étiquette…), c’est traditionnellement une question de temps de pratique.
A l’inverse, un sempai qui verrait son niveau technique inférieur à l’un de ses kohai doit veiller à ne pas corriger le kohai par erreur (manque de connaissance). Le but n’est pas de corriger pour faire valoir un statut, il ne s’agit pas de dominance, la relation verticale est là pour assurer une transmission.
Le sempai est aussi le kohai d’un autre sempai
Il est à remarquer, que le rôle de kohai s’applique aussi pour le Sempai. En effet le Sempai sera toujours le kohai d’un plus ancien et ce qu’il attend de ses kohai, il doit aussi le réaliser vis à vis de ses propres sempai.
Etre Sempai n’est pas faire partie d’une équipe dirigeante avec des kohai en dessous. Il n’y a pas un groupe de sempai et un de kohai. Il s’agit d’un statut relatif entre deux personnes, et un maillon d’une longue chaîne de sempai/kohai.
Le débutant ne doit pas se considérer le sempai de l’élève qui arrive un jour après lui… Il faut acquérir un peu d’expérience sur la voie, qu’il devienne un élève avancé. Pour ce type de relation plus horizontale, les japonais parlent plutôt de dohai (élèves de même ancienneté).
Sauvegarde de la relation sempai/kohai
Comme on l’a vu, il s’agit d’une relation verticale assez stricte favorisant la transmission individuelle. Le kohai se doit de respecter cette relation qui est source de son apprentissage.
Le sempai doit prendre son rôle avec sérieux et savoir quand et comment aider ses kohai; il peut s’agir de corrections, de détails voire de clarifications. Mais il doit aussi veiller au respect de cette relation sempai-kohai sous peine de voir la structure traditionnelle se déliter doucement de l’intérieur.
De même il est attendu que le Sensei sauvegarde cette relation en conservant ces différentes couches de transmission; Il n’y a pas de concurrence dans ce système entre le Sensei et les sempai : le sensei s’appuie sur les sempai pour diffuser l’enseignement et pour réaliser des ajustements individuels que le sensei (non omniprésent) ne peut réaliser.
Le Sensei pourra ainsi corriger les sempai et kohai si les comportements de chacun mettent en péril la relation.
Un Sensei qui ferait fi de ces interactions en éliminant les couches sempai-kohai au profit d’une structure 1 Professeur / uniquement des élèves (au même niveau hiérarchique) passerait d’un mode de transmission traditionnel japonais vers un système occidental moderne… Y perdant ce qui fait la force de la transmission dans les arts martiaux.
Un travail individuel
Je crois que nous devons, tous, de temps à autre ré-évaluer nos comportements dans le cadre des relations sempai-kohai (et Sensei-deshi voire Sensei-sempai) afin de ne pas laisser ce système se fragiliser.
Notre environnement occidental ne favorise pas sa conservation car les relations verticales (hiérarchique) sont combattues, refusées ou enviées (pour des questions de pouvoir); Au nom de la démocratie, on peut détruire de tels systèmes. Or il ne s’agit pas là de pouvoir, mais de mode de transmission dans le cadre d’un enseignement précis (un sempai en Aikido n’est pas mon sempai en informatique, il n’y a pas de transposition dans un autre domaine de compétence même si je continue à montrer du respect à mes sempai en dehors du dojo).
Kohai, je dois veiller à écouter et suivre les directives de mes sempai, je suis là pour apprendre.
Sempai, je dois veiller à la progression de mes kohai et être bienveillant à leur égard, et ne pas abuser de mon rôle.
A la fois kohai et sempai, je dois entretenir ces relations et savoir quel est mon rôle, ma place. (Source : Nicolas Delalondre )